Les conséquences industrielles de la voiture autonome

Nous continuons la série de 7 billets  consacrée à la voiture autonome, traduction d’un travail de Chunka Mui. Partie 1 ici.

 

Un prototype de voiture autonome de Google, présenté le 27 mai 2014.

Le fait est qu’une voiture sans conducteur réduirait de centaines, ou même de milliers, de milliards de dollars le chiffre d’affaires annuel, de toutes sortes d’entités: les constructeurs automobiles, les fournisseurs de pièces, les concessionnaires automobiles, les assureurs, les financiers, les ateliers de carrosserie, les urgences hospitalières, les mutuelles, les cabinets médicaux, les avocats spécialisés en dommages personnels, les autorités fiscales, les entreprises de construction routière, les opérateurs de parking, les compagnies pétrolières, les propriétaires d’immobilier urbain, etc. Dans le même temps, la voiture sans conducteur va créer des opportunités extrêmement lucratives pour répondre aux nouveaux besoins des clients.

Alors que les ventes de voitures étaient initialement prévues en forte croissance, si jamais le parc automobile devait passer aux voitures sans conducteurs, les ventes pourraient se réduire drastiquement ce qui diminuerait également le marché de l’occasion, représentant un total de 600 milliards de dollars par an aux États-Unis. Toute baisse des ventes affecterait également les sociétés de financement automobile, qui souscrivent des prêts pour près de 70% des achats de voitures neuves et la moitié des achats de voitures d’occasion. En outre, de nombreuses pièces disparaîtraient des voitures : qui a besoin d’airbags si vous n’avez plus d’accidents, ou d’assistance automatique ? La quantité d’acier utilisée dans les voitures diminuerait, parce que les voitures n’auraient besoin d’être aussi massives et robustes. (NDT : Comme l’a démontré la dernière vidéo de Google) Les vendeurs spécialisés dans la sécurité automobile pourraient disparaitre.

L’assurance-automobile, qui collecte plus de 200 milliards de dollars en primes d’assurance de la part des particuliers chaque année aux États-Unis, verrait d’abord ses profits augmenter à mesure de la diminution des accidents et des paiements afférents aux clients. Mais on pourrait voir quelque chose comme 90% des primes disparaître. En fait, le modèle de l’assurance automobile personnelle obligatoire des États-Unis pourrait devenir complètement archaïque.

Les urgences hospitalières pourraient perdre des millions de patients par an, et les hôpitaux pourraient diminuer de centaines de milliers de personnes le nombre de personnes affectées à l’accueil de nuit. Les assureurs-santé devront renoncer à une part importante de chiffre d’affaires à mesure que les sinistres liés à l’automobile chuteront. Les avocats spécialisés en dommages personnels ne peuvent que disparaitre. La tendance existe déjà car, avec la propagation des caméras et des capteurs dans les voitures, il est beaucoup plus facile de savoir qui est responsable dans un accident, ce qui supprime les zones d’ombre où les avocats pouvaient avoir un rôle à jouer.

Par ailleurs, si les voitures sont utilisées quasi-constamment et peuvent venir lorsqu’elles sont appelées, la nécessité d’un stationnement disparaît presque. Une étude du MIT affirme que, dans certaines villes des États-Unis, les parkings couvrent plus d’un tiers de la surface disponible. D’autres estiment qu’il y a à peu près 2 milliards de places de stationnement aux Etats-Unis, environ la taille du Connecticut et du Vermont réunies. Une grande partie de ces précieux biens immobiliers pourrait être récupérée à des fins sociales et économiques plus profitables. Dans le même temps, la valeur de l’immobilier, surtout dans les villes, pourrait se réduire à mesure que l’espace supplémentaire deviendra disponible.

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Les gouvernements perdraient l’argent rapporté par les amendes, parce que les voitures obéiraient toutes aux lois de la circulation. Dans le même temps, les gouvernements économiseront en n’ayant pas à payer des policiers pour établir les amendes. Ils économiseront également en n’ayant pas à mettre en place des feux de circulation ou de la lumière dans les rues – les voitures de Google peuvent voir dans le noir. Les gouvernements pourraient moins dépenser sur les prisons, car les conducteurs ivres n’existeraient plus. Toutes les nouvelles routes pourraient être plus étroites et donc moins chères que les routes actuelles, parce que les voitures sans conducteurs n’ont pas besoin d’autant de distance entre véhicules que celles qui sont conduites. (NDT : Imaginaire optimiste, les prisons n’étant pas majoritairement construites pour des délits routiers, elles ne sont pas assez financées, et les économies réalisées sur les policiers sont insignifiantes dans un budget fédéral.)

Les gouvernements pourraient également économiser sur les frais d’élargissement des routes en vue de réduire les embouteillages, les voitures sans conducteurs faisant une énorme différence. Pour le moment, une autoroute fonctionnant à son maximum d’efficacité n’est couverte de voitures que 5% du temps, mais les voitures autonomes peuvent être logées dans des convois de voitures, avec juste quelques centimètres d’écart entre les pare-chocs. Si la voiture de tête doit ralentir, elle peut activer simultanément les freins de toutes les voitures derrière elle. Le gouvernement fédéral a dépensé 6 milliards de dollars de 2009 sur l’élargissement des routes, et les organismes publics dépensent plus de 22 milliards de dollars par an, de sorte que les économies sur les travaux de voirie seraient énormes.

Avec ces économies budgétaires, ce sont des entreprises entières, spécialisées dans les travaux publics qui perdront les marchés des feux routiers et des lumières de rue. Les entreprises de BTP vont perdre beaucoup de marchés. Et ce sera la même chose pour les producteurs de ciment et d’asphalte. Les ventes d’essence ne baisseront pas seulement en raison d’une diminution du nombre de voitures, mais aussi parce qu’elles fonctionneront plus efficacement. Rouler juste derrière une autre voiture (NDT : en profitant de l’aspiration) peut faire économiser plus de 25% de la consommation de carburant.

Additionnez tous ces éléments : 450 milliards de dollars liés à des accidents, plus 600 milliards de dollars en ventes de voitures, plus 200 milliards de dollars en primes d’assurance automobile, plus les centaines de milliards de dollars d’assurance-maladie se rapportant aux accidents, et ainsi de suite, et vous obtenez facilement environ 2 mille milliards de dollars de chiffre d’affaires corrélés à l’industrie automobile chaque année aux États-Unis. Ils pourraient se révéler être de véritables économies de coûts ou de redistribution par des changements concurrentiels. Du côté de l’occasion, les véhicules sans conducteur permettront de re-concevoir de nouvelles voitures, de repenser le business models liés à l’automobile et la dynamique concurrentielle.

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Attendez-vous à ce que le style passe au premier plan, puisque la conception des véhicules sera beaucoup moins influencée par des considérations de sécurité, comme la visibilité, le placement de la fenêtre, la solidité et la rigidité des matériaux, les pare-chocs, les zones de déformation, les colonnes de direction télescopiques, les air-bags, les ceintures de sécurité, et le rembourrage des fauteuils. À court terme, les voitures sans conducteurs ressembleront beaucoup aux voitures d’aujourd’hui. Au fil du temps, puisque les voitures sans conducteurs réduiront considérablement les erreurs humaines (cause n °1 des accidents), davantage de gens accepteront le concept de voitures partagées, les modèles potentiels de voiture possibles vont exploser.

Sans avoir à se soucier de la distraction au volant, les entreprises d’électronique et les programmeurs d’applications pourront bientôt proposer des services aux voitures avec tous les divertissements et distractions que les passagers souhaitent et de gagner des milliards hors du temps libre dans les voitures autonomes

Beaucoup d’opportunités dans la coordination des voitures apparaitront également. Les entreprises pourront fournir des services afin d’organiser des convois sur les routes ou partager des voitures dans le cadre d’une flotte tout en facturant des frais importants. Une étude a révélé, par exemple, qu’un trajet en taxi de 3 km coûte en moyenne à New-York de 8 à 13 dollars, en fonction des conditions de circulation. Elle estime qu’une flotte de 9 000 voitures sans conducteurs pourrait remplacer le parc de taxis de la ville, et pour un tarif d’exploitation de 80 centimes en moyenne sur la même distance. Une différence de plus de 10 fois laisse beaucoup de marge pour les bénéfices !

De nouvelles possibilités de financement seront créées. Par exemple, une compagnie pourrait offrir une voiture partagée gratuitement en échange d’un contrat pluriannuel d’exploitation de la voiture par cette société – une offre analogue à ce que les opérateurs de téléphonie mobile proposent quand ils subventionnent l’achat de téléphones

De nouveaux modèles d’assurance vont apparaitre, à mesure que les assureurs comprendront comment souscrire et proposer des assurances dans ce nouvel environnement. Imaginez le jour où un « conducteur » tapera sa destination à l’aide de Google Maps, et le système réalisera une petite vente aux enchères sur ce voyage instantanément. Les assureurs pourront, en temps réel, leur faire des offres fondées non seulement sur les paramètres de risque du conducteur, mais également sur d’autres facteurs importants, comme l’heure, le choix du trajet, les conditions météorologiques, et le nombre de personnes sur la route. Et à un certain moment, la responsabilité sera renversée, passant du conducteur au fabricant de la voiture – puisque la responsabilité sera plus tributaire des compétences de conduite de la voiture que du propriétaire.

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Globalement, les voitures pourront être considérées davantage comme des plates-formes d’information que comme un véhicule individuel. Les voitures sont de parfaites antennes, et elles ont toutes l’alimentation électrique nécessaire pour communiquer, de sorte qu’il serait facile de les transformer en outil de communication. Les constructeurs automobiles se plaignent depuis longtemps qu’on ne leur laisse vendre que le métal, tandis que tous les profits ont migré en aval pour des personnes qui assurent le service, les réparations, l’assurance et ainsi de suite. Si les constructeurs automobiles pouvaient se positionner en tant que gestionnaire de flotte, ils pourront en récupérer les bénéfices, car ils auront le contrôle sur le service, les réparations et tout le reste.

Les constructeurs automobiles peuvent ouvrir leurs voitures de la même manière que ce que les fabricants de smartphones ont fait, de sorte que beaucoup de gens brillants pourront programmer des applications qui rendraient l’utilisation d’une voiture plus productive ou agréable. Un ami qui travaille pour un grand constructeur automobile et qui a accès à ses API a programmé une application qui envoie un sms à sa femme et lui permet de savoir quand il est à 10 minutes de la maison; il envisage d’écrire une application qui lui dira quand le réservoir d’essence de sa femme est au dernier quart, afin qu’il puisse le remplir pour elle. Il a également programmé une autre application qui envoie un sms à sa fille adolescente et lui permet de savoir quand elle est à 10 minutes de devoir quitter l’endroit pour être rentrée à la maison avant la limite. (Il dit qu’elle apprécie le rappel.)

Envisager la voiture comme une plate-forme soulève la possibilité que quelqu’un pourrait produire une sorte de système d’exploitation pour cette plate-forme ce qui lui permettrait de capter une part énorme de la valeur ajoutée, comme Apple l’a fait avec son iPod et iPhone ou que Microsoft l’a fait avec les ordinateurs personnels (NDT : Les manoeuvres ont déjà commencé à ce sujet). Cela ouvre également un vaste potentiel pour de nouveaux produits et services développés sur cette plate-forme ce qui représente une opportunité qui n’est, sans doute, pas perdue par Google.

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