PSA : l’autonomie des voitures au milieu du gué (MeetPSAExperts)

Lors du huitième de finale France – Nigéria de la semaine dernière, à Brasilia, l’entraineur de l’Equipe de France, Didier Deschamps, avait demandé à certains de ses assistants de se rendre sur les lieux du match Algérie – Allemagne, à Porto Alegre, dont la France allait rencontrer le vainqueur en cas de victoire. L’idée était de se renseigner, de collecter des informations, d’examiner les remplacements des deux équipes pour mieux y faire face au match suivant, ce qui n’a, malheureusement, pas payé ensuite. Et bien, on a un peu l’impression, avec Peugeot – Citroën, que s’ils sont pleinement engagés dans la bataille de la connectivité qui fait rage aujourd’hui, la bataille de demain, celle d’une plus ou moins grande robotisation/autonomie des voitures, les intéresse assez faiblement pour le moment. Alors, peut-être n’était-ce pas le lieu, puisque le sujet n’était pas directement sur la voiture autonome, mais il est possible aussi que ce ne soit pas une priorité aujourd’hui pour le groupe. Difficile de trancher.

Carlos Tavarès, président du directoire de PSA.

J’ai donc été reçu au siège de Peugeot, après une introduction informelle par Carlos Tavarès, pour deux heures de discussion à bâtons rompus avec une vingtaine d’autres observateurs et clients du monde automobile, dans une session des MeetPSAExperts, qui permet l’échange entre les ingénieurs PSA et les utilisateurs finaux. C’est une excellente idée qui permet de faire passer des messages dans les deux sens. Beaucoup de sujets ont été abordés, je vais donc essayer d’en faire un compte-rendu, sous l’angle de la voiture autonome. C’était Brigitte Courtehoux, responsable de la Business Unit Véhicules et Services Connectés qui menait la discussion. Qu’elle soit remerciée ici, ainsi que ses équipes, pour leur accueil.

Force est de constater que la situation était pour le moins compliquée pour Peugeot. Dans le panel présent hier, on trouvait des fans de la marque Peugeot, des modérateurs de forums spécialisés sur PSA, des spécialistes de la conduite, des spécialistes des nouveaux usages de la ville et de la conduite, des spécialistes des objets connectés et enfin, moi-même, assez isolé, plutôt porté sur le créneau de la voiture autonome. Inutile de dire le grand écart permanent à essayer de parler d’une même voix au passionné de l’expérience de conduite Peugeot (qui rappelle les défauts de tel ou tel produit) ET à l’utilisateur urbain, non investi émotionnellement, qui change de voiture comme de chemise, au gré de ses locations avec les particuliers, à l’instar de votre serviteur. L’exercice d’équilibriste est quasiment impossible à tenir, mais a été brillamment réussi.

C’est la connectivité qui a tenu le haut du pavé, selon le thème de la soirée, c’est à dire la réflexion sur le lien entre la voiture et toutes les autres parties prenantes, que ce soit le constructeur, les infrastructures, le smartphone du conducteur et les autres voitures. Les enjeux se sont révélés assez nombreux, mais, en résumé, nous avons abordé l’impératif de la connectivité pour les constructeurs, la vie privée des utilisateurs, l’expérience de conduite, les nouveaux usages et enfin, de manière plus connexe, l’autonomie de la voiture. Je vais brosser rapidement ces thèmes vu sous l’angle de l’autonomisation complète.

  • 1) L’impératif de la connectivité pour les constructeurs : le service.

Quelques invités hier soir ne comprenaient pas l’obstination de Peugeot à vouloir faire du service, via des applications embarquées, concurrentes de celles présentes dans les smartphones. Ces invités n’ont pas compris quelque chose de simple, qui était en filigrane de toutes les conversations mais qui n’a pas été clarifié : le hardware ne paye pas, c’est le software, ou le service, qui est rentable. Il suffit de voir les constructeurs d’ordinateurs (Dell, en sérieuse difficulté financière, ou HP/Compaq pas en bonne forme non plus) comparés aux fringants Microsoft ou Google. Autre exemple, un IBM a dû se réorienter quasiment intégralement dans le service pour survivre, alors qu’il était un constructeur d’ordinateurs à l’origine. Dans la téléphonie, Orange gagne de l’argent, pas Ericsson. Apple gagne de l’argent à cause de son environnement bloqué, Itunes, pas à cause de l’architecture technique de l’IPhone. Et c’est à peu près valable dans tous les secteurs industriels, sauf les marchés oligopolistiques où les constructeurs peuvent dicter leurs conditions aux clients (construction aéronautique). Sur tous les autres secteurs, ce n’est pas la production brute qui est rentable, la concurrence étant trop violente sur ce créneau, mais la différenciation par le service, par le logiciel, par une communauté active.

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D’où l’impératif, si PSA veut survivre, à occuper le terrain du tableau de bord, à proposer ses propres applications ou au minimum, à imposer un péage pour chaque application utilisant son interface. Tout en évitant de distraire le conducteur, ce qui a été rappelé. Peugeot a parfaitement intégré ces contraintes.

  • 2) L’impératif du respect de la vie privée

Mme Courtehoux a indiqué qu’ils travaillaient, concernant le souci de la vie privée, selon les recommandations de la CNIL, en partant du principe que ces dernières seraient appliquées au niveau européen. Il me semble qu’elle va un peu vite sur ce sujet. Pourquoi ? Parce qu’elle se ferme d’office des portes permettant de rendre un service au conducteur (par exemple, le suivi à distance d’une voiture volée) et parce qu’elle oublie que la CNIL peut adapter ses statuts du fait de nouveaux services ou acteurs (je pense aux tentatives parfaitement vaines, mais délicieusement françaises, d’Hadopi ou du CSA de contrôler le contenu sur Internet). Si pour le moment, le dialogue permanent entre le constructeur et la voiture n’est pas à l’ordre du jour comme les échanges l’ont montré, il sera indispensable d’y arriver, pour mieux aider le conducteur, au plus prés de sa situation, avec une personnalisation la plus développée possible. C’est ce qu’impose une voiture parfaitement autonome.

Mme Brigitte Courtehoux, responsable de la Business Unit Véhicules Connectés chez Peugeot – Citroën.

D’autant que, comme Mme Courtehoux le rappelait, le client est généralement disposé à laisser des informations personnelles au constructeur, pourvu qu’il y ait un service en échange. Le service impose une relation plus personnelle, et une concession sur des informations privées. C’est une bonne idée de pouvoir couper l’accès à des infos privées à tout moment, mais le service correspondant sera coupé également. Il y a là un créneau à approfondir, me semble-t-il.

  • 3) Ne pas oublier l’expérience de conduite

Vaste sujet. Certains ont parlé de l’expérience de conduite des voitures, de sa disparition dans les voitures autonomes. A cela je ne dis qu’une chose: où est le plaisir de conduite avec une vitesse régulée et bloquée à 70 km/h sur le périphérique parisien ? Où est le plaisir de conduite quand la réglementation se fait d’autant plus sévère et lorsqu’il devient compliqué de conduire sans perdre régulièrement un point ou deux du fait d’un dépassement de limitation de vitesse ? Où est le plaisir de conduire dans les embouteillages autour des métropoles ? L’application dont on a le plus parlé est Coyote, celle qui signale les zones de danger (et de radar sur la route), c’est à dire l’application qui empêche de s’inquiéter sur ce que l’on est en train de faire ! Ce n’est pas l’idée que je me fais du plaisir en conduite. Le plaisir de conduite existe, certes, mais est ou sera cantonné aux circuits spécialisés. Sur la route, c’est déjà de moins en moins le cas ; je préfère occuper mon temps à autre chose, lire, m’informer, me divertir, plutôt que de conduire stérilement.

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Il me semble que les fans de la marque, globalement sceptiques sur la voiture autonome, oublient que la voiture n’est plus du tout une source de plaisirs et un symbole de liberté comme elle a pu l’être il y a une quarantaine d’années, mais une source de contraintes. La meilleure preuve étant que les jeunes ne se précipitent pas pour passer leur permis, du constat même de Mme Courtehoux. Raison de plus pour passer à l’étape suivante : l’autonomisation complète qui lève les contraintes des conducteurs pour les déléguer à l’ordinateur et au constructeur. Ça ne marchera pas pour les générations ayant grandi avec la voiture, mais pour les jeunes générations, il est possible que ça soit clairement un nouveau mode de déplacement.

Mais encore faut-il leur proposer ce choix.

  • 4) Les nouveaux usages

Le constat a été fait que la voiture était utilisée 1h par jour, qu’il y avait 23 heures par jour où elle était disponible à la location et à l’usage de quelqu’un d’autre. On a évoqué brièvement le covoiturage et la location de voiture entre particuliers. On a parlé d’applications dédiées pour pouvoir louer la voiture. Personne n’a remarqué là que l’on inventait une nouvelle forme de transports en commun ! Ce qui sera probablement l’aboutissement de la voiture autonome, avec un coût bien moindre que celui d’une possession classique de voiture ! Drivy, BlablaCar, Ouicar, Buzzcar, AirBnB sont les intermédiaires de demain ou d’après-demain, capables d’aider ces nouveaux usages à prendre de l’ampleur et à diminuer les coûts. Il y a là un autre créneau à creuser pour les les constructeurs: pourquoi ne feraient-ils pas également une forme de médiation surtout dans des communautés fidélisées ?

  • 5) La voiture autonome

Tous les enjeux présents ont été abordés. C’est davantage les enjeux d’avenir qui posent problème et on sent que les idées ne sont pas encore au clair chez PSA. Sur le plan de la voiture autonome, un prototype a été mis au point, semble-t-il, au niveau 2 d’autonomie, c’est à dire opérationnel dans les embouteillages, et capable de se garer seul, mais qui n’a pas été présenté lors de cette session. Le ministre de l’industrie, M. Arnaud Montebourg,  ayant décidé d’autoriser des essais de voiture autonome sur les routes à partir de 2015, on ne sait si ce sera ce modèle ou un modèle de niveau autonome supérieur qui sera testé pour Peugeot. Mais on sent sa réticence, puisque le constructeur doit s’adapter à une révolution de la mobilité, plutôt hypothétique et hasardeuse, où l’on change de paradigme, à la fois dans la conduite, mais également dans le mode de propriété de la voiture. Évidemment, la communauté de fans acheteurs du dernier modèle, quoi qu’il arrive, est plus concrète, plus fiable et moins évanescente pour la compagnie, certes, mais est-ce vraiment l’avenir lorsqu’on a la possibilité de changer de voiture comme on change de portable ? Est-ce vraiment l’avenir si on pense que les voitures autonomes seront quasiment aussi jetables qu’un ordinateur, comme la dernière Google Car, ressemblant à un jouet ?

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D’ailleurs, quand on pose directement la question de la Google Car, la réponse se fait politiquement correcte : « Moi personnellement, Google et sa voiture autonome j’adore ! Ça nous chatouille, ça nous incite à avancer. » Très bien, c’est vrai, les grandes manœuvres s’accélèrent toujours plus ou moins grâce à de nouveaux acteurs, mais au-delà des déclarations d’intention, il n’y a, pour le moment, sauf en ce qui concerne la bataille autour des systèmes d’exploitation dans la voiture, pas de réponse sur le plan d’une voiture complétement autonome, c’est à dire de niveau 4. Mais quelques informations intéressantes sur la connectivité ont été diffusées. Ainsi PSA fait partie du consortium MirrorLinks, une union de constructeurs cherchant à établir un standard de connexion entre les smartphones et la voiture, une réponse claire à l’immixtion de Google avec Android Auto. On voit bien tout l’enjeu de connectivité qui fait l’objet de l’attention présente de tous les cadres de PSA, à bon escient, évidemment. En outre, PSA a évoqué un accord avec Apple sans dévoiler précisément de quoi il était question. Et que le protocole adopté concernant l’Internet des objets est le MQQT. A suivre, donc.

Tout ce qui concernait la connectivité était passionnant, mais manquait de vision pour la suite. C’est pour cela que les propositions de Chunka Mui, dans les billets que j’ai traduits me semblent assez intéressants : penser à grande échelle sur différents scénarios,  consacrer un petit budget à chaque anticipation, des petites équipes, pour commencer à se faire une idée du sujet, et du retour des clients.

En conclusion, nous pouvons dire que la soirée MeetPSAExperts était très intéressante, mais bien davantage axée sur la connectivité que sur l’autonomisation. Peugeot est pour le moment dédié à son partenariat avec la Chine, qui sera également un relais essentiel de la voiture robotisée, lorsque chaque voiture particulière sera taxée à un prix prohibitif en Chine du fait de la pollution et des embouteillages qui empoisonnent d’ores et déjà la Cité Interdite. Il ne m’est pas apparu de manière claire que l’autonomisation était aujourd’hui un sujet majeur de Peugeot. Mais vu la taille du groupe, il est largement envisageable qu’une petite équipe se charge d’une montée en charge, à la manière des assistants de Didier Deschamps que j’évoquais car il est loin d’être trop tard. Le point névralgique est le suivant : faut-il attendre les changements de mentalité des usagers, mais également des salariés des constructeurs, pour imaginer le futur ou ne peut-on pas le proposer ? Les passionnés sont indispensables, certes, mais ont également des œillères, ne détectant pas ce dont les non-passionnés ont besoin. Ce n’est qu’en changeant de regard, qu’en modifiant les règles, qu’en inventant, qu’en s’obligeant à se mettre en risque, qu’en brisant l’historique que le groupe PSA entamera correctement la bataille automobile de demain, et remportera, à la différence de la France, le prochain match.

Ce qui est toujours plus facile à dire qu’à faire, on est parfaitement d’accord.

PS : Je vais faire mon typonazi, mais « digital », employé de manière abondante lors de cette réunion, est un américanisme qui est un adjectif signifiant, en bon français, « ayant la forme du doigt » comme l’expression « empreintes digitales ». Le terme validé par l’Académie Française pour le remplacer est « numérique ».

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