Cette série a porté sur la voiture sans conducteur, mais le terme lui-même, « voiture sans conducteur » occulte beaucoup des implications gigantesques de ce concept. Pensez à la transition entre les chevaux et les voitures et n’oubliez pas que les voitures ont d’abord été appelées « voitures sans chevaux ». Les voitures ont été définies par ce qu’elles n’avaient pas, tout comme la « voiture sans conducteur » est définie par ce qui est retiré de l’équation.
Mais la disparition des chevaux a fait beaucoup plus qu’enrichir Henry Ford ou ruiner les éleveurs. La « voiture sans chevaux » a eu des effets gigantesques qui, non seulement ont redessiné le réseau de transport, mais aussi servi de base pour l’économie moderne et même changé la façon dont nous vivons, en rendant la banlieue possible.
La « voiture sans conducteur » changera la dynamique de l’économie et nos vies personnelles d’une manière qui est difficile à prédire (Il faudra également que cette technologie se dote d’un vrai nom, orienté sur ce qu’elle est, et non sur ce qui lui manque). Rien que dans les industries liées à l’automobile, des milliards de dollars changent de mains chaque année, passant des assureurs automobiles autonomes aux financiers, des services aux ateliers de réparation, agences de location, exploitants de taxis, gestionnaires de parcs de véhicules, compagnies pétrolières, entreprises de logistique, urgences hospitalières, assureurs-santé, cabinets médicaux, avocats spécialisés, autorités fiscales, entreprises de construction routière, opérateurs de parkings, etc. Les voitures sans conducteurs vont inévitablement réduire la nécessité de beaucoup de ces dépenses, et redistribuer toutes les parts de marchés.
Mais si l’histoire nous démontre quelque chose, c’est que ces industries penseront qu’il faudra des décennies (au minimum) avant que le changement ne soit omniprésent, et donc des décennies avant qu’ils n’aient à se soucier de l’impact de cette rupture majeure avec leur propre métier. D’ici-là, nul besoin de s’en soucier, les entreprises dans les périphéries de la voiture peuvent tout simplement regarder les constructeurs automobiles se battre entre eux et avec la voiture autonome Google.
Ce qui est un point de vue dangereux. C’est ce que cette série a tenté de démontrer.
La technologie est plus développée et sa progression plus rapide que ce dont la plupart des observateurs se rendent compte. Et plusieurs scénarios peuvent considérablement accélérer sa commercialisation et son adoption. En outre, l’idée que la rupture ne se produira pas avant que les voitures sans conducteurs ne soient omniprésentes pourrait être trompeuse. Un petit nombre de voitures autonomes peut changer toute la dynamique, bien avant l’adoption généralisée.
Il est donc important pour les leaders des marchés environnants d’entrer dans le jeu, plutôt que de rester simples spectateurs.
Même au-delà du monde de l’automobile, la voiture sans conducteur devrait être un signal d’alarme sur le rythme du changement technologique qui se profile pour chaque industrie. Ou dit autrement, la voiture sans conducteur montre à quel point les innovations peuvent changer radicalement chaque industrie. Alors que la voiture Google est perçue comme sortant directement de certains films de science-fiction, elle n’est pourtant rien de plus qu’un assemblage de dispositifs largement disponibles, une combinaison de caméras, de capteurs omniprésents, de médias sociaux, d’un «nuage de données» et de puissants outils d’analyses sur les « big data ». Et des techniques du même ordre peuvent bouleverser tous les secteurs fortement consommateurs d’informations (NDT : Par exemple, l’industrie de la presse).
Mary Meeker, le célèbre capital-risqueur, pense que les marchés valoriseront les entreprises capables de se réinventer, notamment par les progrès technologiques, de plus de 36 000 milliards de dollars en valeur boursière dans les prochaines années. Or ces 36 000 milliards de dollars sont justement la valeur boursière des grosses entreprises dans les 10 industries les plus vulnérables – finance, biens de consommation, technologies de l’information, de l’énergie, consommation, soins de santé, matériaux, télécommunications et services publics. Les entreprises devront se réinventer, sinon elles seront vouées à la faillite.
Aucun antécédent ne permettra de protéger les leaders s’ils sont du mauvais côté de l’innovation. Borders, Circuit City, Blockbuster et beaucoup d’autres sont passés de l’entreprise en plein essor à la faillite en un rien de temps. Pensez qu’encore récemment Nokia et Blackberry étaient sur le toit du monde et qu’ils sont désormais hors course. Et le changement s’accélère encore. L’avenir proche sera encore plus brutal et plus meurtrier, avec des cycles plus rapides, plus intenses que jamais.
Comme je l’ai suggéré dans mon analyse de Google, la solution pour les leaders et les nouveaux venus est de suivre le développement que Google a mis en place : penser grand, commencer petit et apprendre vite.
Penser grand signifie que les innovateurs doivent tenir compte de toute la gamme des futurs possibles. Comme Google, ils doivent oser rêver en grand, en se concentrant sur les « killer apps », des nouveaux produits qui peuvent réécrire les règles d’une organisation ou d’une industrie, plutôt que de simplement regarder ce qu’il y a de plus rapide, de meilleur ou de moins cher à mettre en œuvre (ce que tout le monde fait déjà).
A partir de petits moyens, plutôt que de tout miser sur une grande idée potentielle, les entreprises doivent réfléchir sur plusieurs idées et les décomposer pour les tester. Il faut agir comme Google, des innovateurs qui réussissent à reporter les décisions importantes, à garder les options ouvertes jusqu’à ce qu’ils aient des données réelles, plutôt que de prendre des décisions dès le début, uniquement sur la base de l’intuition et de l’historique. En outre, les innovateurs qui réussissent prennent le temps de s’assurer que tout le monde, l’équipe de direction, les employés, les partenaires, des agents et peut-être même les clients – travaillent à l’unisson, plutôt que d’avoir des gens d’accord du bout des lèvres tout en travaillant dans les faits à contre-courant du projet.
Apprendre vite est le moyen rapide d’adopter une approche scientifique de l’innovation. Ceux qui réussissent construisent différents prototypes avant la phase de test (bien avant tout déploiement), afin qu’ils puissent recueillir des informations complètes sur leurs tentatives et rapidement discerner ce qui fonctionne de ce qui ne fonctionne pas. Ce faisant, ces petits succès permettent également de mieux annuler ou de modifier les projets dès qu’il est clair qu’ils ne marchent pas.
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Le bon sens veut que les startups soient davantage destinées à innover que des grandes entreprises bien établies. Vu nos recherches et notre expérience, ce soi-disant bon sens n’est tout simplement pas vrai. Oui, être petits et agiles, c’est mieux qu’être grands et lents, mais les grands et les agiles (et cette combinaison est maintenant possible) battent tout le monde. Du moins, s’ils sont prêts à apprendre les leçons de l’innovation sur ces 20 dernières années.
La question est donc de choisir si vous misez gros et pensez ensuite à trop petite échelle, ce qui ne vous donnera pas la moindre chance d’apprendre ou si vous préférez imaginer à grande échelle, puis commencer petit et apprendre vite pour réussir à l’emporter sur ces marchés.
Merci pour cette série !